Il faudra que je range tout ça et que je passe l’aspirateur, un de ces jours.
Un de ces jours. Quand j’en aurais le courage.
Je reviens au salon, un peu plus détendu. Je regarde d’un œil fatigué les infos pendant que Reb s’est remise à pianoter frénétiquement sur son clavier. À tous les coups, il y a un raid, ce soir. Ça ne va pas tarder à commencer. Je ne suis même pas au courant.
Histoire d’écailler le silence entre nous deux, je lui demande s’il y a une place pour moi. « Je pensais que tu viendrais pas… »
J’aurais dû m’en douter. Elle croit que je ne joue plus. C’est presque vrai. Mais son jugement est faussé parce qu’elle ne se rend pas compte qu’en journée, moi, je travaille. Et pas elle.
Je ne suis pas sûr qu’elle se rende encore compte de quoi que ce soit, en fait.
« T’as faim ? Je nous prépare un truc. »
Elle ne répond pas, elle est trop absorbée à présent. Notre guilde contient plusieurs dizaines de membres, et chapoter tout ce beau monde n’est pas une mince affaire. Je m’empare d’une poêle à la propreté douteuse, y dépose deux steaks hachés, quelques patates surgelées autour. Je les laisse à moitié cramer pendant que je passe en revue mes boîtes mails, facebook, flux RSS, etc., sur la tablette posée sur le comptoir de notre cuisine à l’américaine. Quand enfin, je lui dépose son assiette sur le coin du bureau, elle me répond, d’une voix à peine audible : « pas faim… ».
Rebecca n’est pas bien grosse. Elle n’est pas petite en plus – elle doit dépasser le mètre soixante-dix –, et ses quarante-cinq kilos se font donc à peine sentir : ses bras tout fins, ses longs doits anguleux, ses jambes gringalettes, ses côtes visibles sous ses seins… Son visage semble lui aussi avoir été légèrement raboté. Son menton un peu pointu, ses pommettes saillantes et son petit nez en trompette à l’arête fine durcissent la bouille d’enfant que j’ai toujours connu. Ses yeux d’un bleu clair sous ses sourcils droits naturellement fins renforcent ce caractère froid et anguleux. Je contemple un instant sa courte queue de cheval se dandiner au rythme de son pianotage, douce chevelure sombre, très fine et aux mèches raides qui lui retombent constamment dans les yeux.
« Mange, ou je t’emmène à l’hôpital.
— Plus tard. Le raid commence. »
Fin de la conversation. Je me replie sur le canapé, glande sur Internet ou devant la télé, que j’ai mise en sourdine tellement les programmes ne m’intéressent pas. Quand finalement je ne tiens plus debout, je gagne la chambre, où je découvre le triste état de notre lit double : la couette en boule, un tas d’habits posé sur un coin, un ordi portable oublié à l’emplacement de Reb, un vieux soutif oublié, pendant négligemment du bord et sur le point de tomber au sol – une hideuse moquette poussiéreuse qui, elle aussi, aurait bien besoin d’un bon coup d’aspi. Tout ça enveloppé dans une odeur de renfermé digne des pires apparts de geek.
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